Chérie, j'ai rétréci l'Écosse

En l'an de grâce 867, un peu plus de 5000 fiers guerriers vikings menés par le petit roi Hvitserk - c'est-à-dire moi - ce sont jetés sur le centre de l'Angleterre, bien déterminés à s'y tailler une place et à s'installer là, parmi les paysans, les imbéciles et les gueux aux mœurs si tendres. Avec autant d'hommes taillés d'un autre bois que les tribus primitives qui peuplaient la grande île, il n'a pas été très difficile de devenir maître de quelques terres, l'équivalent de deux duchés. Au même moment, Sven, mon frère, civilisait les peuples du nord de l'Écosse. Nous avons ri, nous avons pillé, nous avons éventré les hommes, mutilé les femmes et égorgé les enfants. L'avenir, autant que l'Angleterre, nous appartenait. Enivré d'or, de pillages et des récits de nos légendes, nous n'avons pas fait attention : à mesure que nos guerres les usaient, nos hommes devenaient de moins en moins nombreux. Hors de nos frontières, nos ennemis et leurs fausses croyances se rassemblaient, préparaient leur revanche dans l'ombre. C'est pourtant de l'intérieur, de nos coutumes ancestrales, que la nuit est arrivée. A notre mort, selon les règles de la partition confédérée, nos duchés ont été répartis entre nos enfants qui se sont déchirés pour récupérer les terres qu'ils considéraient désormais comme les leurs. La division a profité à nos voisins qui se sont jetés sur nous, rassemblés derrière leur foi impie en un homme nommé Jésus-Christ. Il y a eu des morts, des milliers d'hommes, des mendiants et des rois, fauchés par la guerre. Et puis, au milieu de la tempête, Sigurd, l'arrière-petit-fils d'Ivar, est monté sur le trône. De sa mère, il avait hérité d'une beauté qui hypnotisait ses interlocuteurs. De son père, il tenait une solide constitution qui devait lui assurer une vie presque éternelle. Dieu, enfin, lui avait offert le don de l'intelligence. Dès le début de son règne, il décida de focaliser son intérêt sur la foi et créa une nouvelle dynastie, une branche cadette de la précédente, pour bien marquer son autonomie. Ce fut lui qui, le premier, prit la décision de se convertir à la religion catholique pour être aimé de son peuple afin de pouvoir lever plus de troupes. Puis, par d'habiles manœuvre politiques, il parvint, en mariant ses enfants, à se faire de nombreux alliés sur l'île, et autant de revendications sur les terres de ses voisins. Il serait trop long d'expliquer comment, par ses manigances auprès du pape, il réussit à accumuler les richesses qui lui permirent de financer ses guerres, ou comment, alors que sa dévotion grandissait, il fut bientôt autorisé à lancer ses guerrier sur l'immense territoire du royaume d'Écosse pour y rétablir la foi. A la fin de son règne, qui avait duré presque 60 ans, il avait conquis plus qu'aucun homme : il était maître de l'Angleterre, depuis Londres jusqu'aux confins de l'Écosse. Pour accomplir sa destinée, il ne lui manquait plus que quelques terres au sud de l'île et à l'ouest du Pays de Galles. Après cette conquête, il pourrait enfin réaliser ce vers quoi il avait tendu toute son existence : réformer la foi, et instaurer la science, la raison et la polygamie au centre des nouvelles vertus. Mais Dieu n'était pas de cet avis. Bien conscient que son royaume pourrait ne pas lui survivre, Sigurd avait instauré une nouvelle loi de succession, dite de l'élection nordique. Chaque vassal pouvait choisir quelqu'un, dans la famille du dirigeant, pour hériter du royaume. Ainsi, à sa mort, Sigurd léguerait son titre à son second fils, Paul, le plus apte à régner. C'est précisément ce qu'il advint, à un détail près : à cette élection pour le royaume d'Angleterre s'ajoutaient les règles ancestrales de la partition confédérée pour tous les autres titres. A part le royaume que les vassaux avaient distribué par élection, les titres étaient répartis entre les enfants et, si suffisamment de terres étaient disponibles, de nouveaux titres étaient créés. Ainsi, Paul, le second fils de Sigurd, hérita bien de l'Angleterre, mais Samuel, son grand-frère, obtint l'Écosse, dont le titre fut créé dans la succession, ne laissant à Paul, en fin de compte, qu'un territoire minuscule en comparaison des terres de son frère devenu roi et rival. Paul n'avait pas hérité de la robustesse de son père, mais il était tout aussi beau, et encore bien plus intelligent. Il se tourna très jeune, vers l'intrigue, afin de récupérer, par les complots et les assassinats, ce qui lui était dû. Lui aussi eut une vie longue. D'une main, il frappait. Méthodiquement, il élimina son frère et les enfants de son frère, jusqu'à ce que le royaume d'Écosse finisse par lui retomber dans les mains par héritage. Les imprudents qui commettaient l'erreur de l'attaquer voyaient leurs troupes fondre, à mesure que les dirigeants étaient exécutés dans l'ombre. De son autre main, il caressait et flattait, après avoir dépensé quelques points d'expérience dans les atouts politiques, s'assurant que, cette fois-ci, tous les votes aillent bien dans la bonne direction. En fin de règne, tous ces assassinats eurent raison de sa santé mentale. Ayant hérité d'une nature aimable, il était rongé par le stress à chaque meurtre, jusqu'à finir plongé dans le remord et les regrets. Au début, les conséquences du stress furent modérées. Pour faire face, Paul fuyait au bordel ou dans les auberges pour se saouler jusqu'au matin. avec le temps, il fut pris de violentes crises de rage, au cours desquelles il frappait le malheureux qui passait sous sa main. Quelques jours plus tard, il partait s'isoler, ne réapparaissant pas pendant des mois. Ses vassaux le croyaient fou, mais personne n'osa se révolter. Par ses assassinats et ses crises de violence, Paul avait fini par instaurer un climat de terreur. Il était davantage craint que détesté et, dans le fond, c'est tout ce qui comptait. Tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il avait enduré, l'assassinat de son frère, le meurtre de ses enfants, c'était pour que Cytelbearn, depuis son plus jeune âge, se préparait à régner. Même au plus fort de sa maladie, son père avait toujours gardé un œil sur son éducation, en le formant à la diplomatie, en s'assurant que tous les grands du royaume le connaissent et l'aiment. L'enfant avait hérité des traits qui avaient peu à peu été choisis par la dynastie, au fil des générations : il beau, fort et intelligent. Quand son père fut enterré, il ne lui fallut que quelques mois pour faire oublier les excès de la génération précédente. En choisissant la diplomatie comme intérêt, il devint capable de se faire des dizaines d'amis sincères qui lui permettaient d'être quasiment immunisé au stress. Par son prestige, il faisait venir à sa cour les meilleurs chevaliers d'Europe et lançait des guerres qui étaient approuvées par tous les pays. Enfin, après tant de troubles et de morts, il allait pouvoir terminer la quête de son ancêtre : conquérir l'Angleterre, se jeter sur l'Irlande et réformer la foi. Mais il arriva à Cytelbearn quelque chose que personne n'avait pu prévoir, ni Paul, ni Sigurd, ni même Ivar au début de son épopée : Crusader Kings III, après plus de 300 heures de jeu, refusait désormais de se lancer. Encore plus que la dynastie des Hvitserk-Worcester, la sauvegarde était corrompue.

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