Ensemble, tout est possible
"Cher journal,
Ici, tout se passe très bien. On n'a qu'une tente pour quatre, c'est vrai, mais comme personne n'a vraiment envie de dormir (on sait ce qu'il se passe quand le feu n'est pas entretenu), ce n'est pas vraiment gênant. On vient de passer l'hiver, bien nourris par les bâtonnets de poisson de tonton Rob, et rien ne nous arrêtera plus. Il faut que je te laisse, cher journal, j'entends des aboiements, ce doit être Gal qui demande poliment où sont rangées les glandes d'araignée..."
Ceci était la dernière page, celle du jour 38, de ma personne, dont une partie des ossements fut retrouvée dans des déjections de molosses. Non loin du parapluie détrempé et de la main décharnée d'Ann, fermement agrippée à un sceptre de feu, dont elle avait pourtant juré qu'elle s'était définitivement débarrassé... Au même moment, Gal et moi-même nous nous isolions dans la salle de crise pour réfléchir. Et surtout tenter de déterminer ce qui avait pu merder, parce que bon, 38 jours de survie, c'est quand même pas glorieux et merde, quoi, massacrés par des clébards, c'est carrément la honte, je vous avais dit qu'il fallait poser plus de pièges, bande de nazes, et avec quel cordages môssieur, tu as cramé les derniers pour te fabriquer ton filet à papillons, oh putain vos gueules on va quand même pas rester là-dessus, allez hop on y retourne.
Vous connaissez forcément Don't Starve. Si ce n'est pas le cas, vous serez assez malin pour faire semblant de ne pas vous taper la honte en société. Le jeu de Klei, sorti en 2013, propose de la survie en milieu hostile. Hostile mais mignon. Mais hostile, car tout peut tuer : la faim, le froid, la chaleur, la folie, jusqu'à l'obscurité... ou même les arbres si vous bûcheronnez comme un sagouin sans penser Cop 21. Don't Starve Together, qui a squatté la section accès anticipé de Steam pendant un an et demi, en est donc la version multijoueur, gracieusement offerte par le studio à ceux qui avaient acheté le jeu original. Pour ceux qui n'y ont pas touché depuis un moment, cette version définitive (ou presque, le titre bénéficie d'un excellent suivi de la part de Klei, coutumier du fait) s'est énormément enrichie avec le temps : plus d'objets à fabriquer, un système de fringues à collectionner pour personnaliser les survivants (Webber, l'homme-araignée en jupette, ça en jette), des niveaux souterrains, un poil plus de variété graphique, le petit plaisir - pas si - simple de monter à dos de beefalo... Tout cela étant dit, avant de continuer et de vous conseiller de vous jeter dessus, il est préférable d'étudier deux cas de figure...
Cas n°1 : vous n'avez pas d'amis
Bon, déjà, commencez par être sympa, souriant et de vous rappeler de la date d'anniversaire des gens, et peut-être aussi de vous laver sous les bras chaque matin, peut-être que ça changera. Dans l'immédiat, pour vous, Don't Starve en multi n'est sans doute pas la plus épanouissante des expériences. L'essence même du jeu étant la coopération - le combat y est globalement inintéressant, on ne va pas se raconter d'histoires -, les serveurs qui ont activé le PvP ne présentent pas un grand intérêt. Quand à ceux, heureusement très majoritaires, qui proposent de la coop', ils ne sont jamais, loin de là, à l'abri des habituels énergumènes qui se la jouent solo, voire qui prennent un malin plaisir à semer le bordel dans le camp des autres. Lavez-vous les dents aussi, on devine que vous aimez l'ail.
Cas n°2 : vous avez des amis (et aimez prendre le risque de vous brouiller avec eux)
Dans ce cas, Don't Starve Together est fait pour vous. Et pour eux. Avec l'adjonction d'un serveur vocal pour vous coordonner et demander des nouvelles de la famille pour meubler les sessions de minage ou de cuisine. Un serveur coopératif vous force à prendre soin des autres et à ressusciter vos potes morts au plus vite, puisque chaque fantôme présent sur la carte fait baisser lentement, mais sûrement, la santé mentale des vivants. Les forces et faiblesses des personnages deviennent soudain potentiellement complémentaires et une douillette ambiance de colocation s'installe : "Oohh c'est mignon, qui a rempli le frigo de boulettes de viande ?"; "Tu pars explorer les marais ? Tiens, prends cette armure et sois prudent !"; "Si vous pouviez arrêter de mettre le bordel dans les coffres, ce serait sympa, j'avais tout rangé par ordre alphabétique..."; "Qui a pris Chester ? C'est MON Chester !"; "Bordel de merde, quel est le fils de chien qui a englouti les dernières boulettes de viande du frigo ?". Même après l'inévitable game over, quand plus aucun joueur connecté n'est vivant, subsisteront les anecdotes et se graveront les légendes. Nous, par exemple, on peut vous faire la soirée en vous racontant comment Ann a incendié le camp entier avec son sceptre de feu...
Alors certes, tout n'est pas parfait : certaines fonctionnalités manquent toujours, par exemple la possibilité de situer précisément les autres joueurs sur la carte au-delà d'une certaine distance, ou d'avoir un brouillard de guerre commun pour partager les fruits de son exploration. Certains mods proposent des solutions, mais pas toujours satisfaisantes. Il faut également reconnaître que les débuts de partie sont toujours un peu les mêmes, avec un build-order quasi obligatoire qui fait davantage penser à Starcraft qu'à un jeu de survie. Mais c'est vraiment pour le plaisir de chipoter.
Don't Starve Together est assurément l'une des meilleures expériences de survie auquel j'ai pu jouer à plusieurs. C'est l'assurance d'un trépas épique, dans la joie et la bonne humeur, et avec l'opportunité de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre. Franchement, je ne sais pas ce qu'il vous faut de plus.
Ah, j'en profite au passage pour le dire à mes petits camarades : oui, c'est moi qui ai emmené Chester en balade, et c'est moi aussi qui ai fini les dernières boulettes de viande.
